Récits et Contes - "Lé traouc dé la dragous"

20/09/2022

Nous remercions Claude Bernadac pour l’envoi de ce récit : le lieu est une des vieilles maisons du village et les personnages cités étaient des habitants de Larcat.

Lé Traouc dé las Dragous

Si l’on savait écouter le silence qui émane des vieilles cheminées , peut-être entendrions nous l’écho de ce qui s’y disait, jadis, alors que le téléphone portable ou la télévision ne nous empoisonnaient pas l’existence. Voici par exemple le récit d’une veillée qui se déroula il y a ...........fort longtemps.

Au village, si les habitants étaient surtout absorbés par le travail, il y avait les veillées, au coin du feu, l’hiver, où étaient souvent évoqués la mémoire des disparus, les histoires du temps jadis. Parfois, l’un des participants se souvenait tout à coup d’un conte, d’une féerie, qu’il tenait de son aïeul et en régalait l’entourage. Dans ces cas là, les femmes arrêtaient de filer, les hommes cessaient de tresser des paniers, pris par la magie du discours, rendus silencieux par l’atmosphère irréelle qui s’en dégageait.

L’hôte de la soirée qui nous intéresse, Ambroise, était un taiseux. Pourtant, un soir de janvier, alors que le chaudron contenant la pâtée des cochons cuisait sur le feu, ce fut lui qui conta cette histoire à l’intention de ceux qui étaient venus veiller chez lui, “En Joulé”. Il y avait là, en rond sous le manteau de la cheminée, ses frères Baptiste et Eugène, Casimir Bonnans et son fils Paul, Jean-Baptiste Joulé “Barou‘’ , Jean Baptiste “de la Piosque’’, Baptiste “de Léon”, Félicien Rouby, et Victorine Bonnans, venue en voisine.

Après avoir pris une prise de tabac, Ambroise commença :

“Lorsque j’étais jeune, Dominique d’en Canal, celui du café, nous a parlé d’une grotte située au dessous de son pré de “La Lappe”, là où est sa borde. Tout le monde en avait entendu parler, mais personne n’osait s’approcher de ce trou, au milieu des ronces, que l’on nommait, sans savoir pourquoi, “Traouc dé las Dragous” (trou des fées). Même le bétail que l’on menait paître dans le coin s’écartait de cet endroit, comme si des signaux que nous ne pouvions pas capter, étaient perçus par les bêtes, rendues craintives dans ces parages. Dominique lui-même évitait de passer devant l’excavation, et, pour rejoindre sa borde, faisait un détour.

Un soir qu’il s’y était attardé plus que de coutume, au moment de partir, il aperçut, dans une sorte de brume, une forme qui semblait être celle d’une femme, sortant de la grotte et se dirigeant vers Bialac. Sa façon de marcher, sans toucher terre impressionna Dominique qui crût reconnaître une ‘Dragou”, une fée, dont on parlait parfois au village, sans jamais l’avoir vue.

Constatant qu’elle s’éloignait, Dominique, curieux, s’approcha pour la première fois de sa vie de l’ouverture de la grotte, et osa s’aventurer à l’intérieur. Quelle ne fut pas sa surprise de trouver, sur un lit de fougères, un petit enfant, presque un bébé, qui ne paraissait pas effrayé. Dominique le prit dans ses bras, et s’en fut, en toute hâte vers le village, ne doutant pas que la fée, de retour de son expédition et constatant le rapt, ne les poursuive. C’est bien ce qui arriva ! Alors qu’il dévalait les prés, il entendit derrière lui des gémissements qui se rapprochaient. A l’instant d’arriver au pont du “Riou”, il était sur le point d’abandonner son fardeau, tant il percevait l’haleine de sa poursuivante, lorsqu’il entendit tinter l’Angélus au village.

Aussitôt, la fée s’arrêta net, et, en pleurant comme un être humain, reprit le chemin de la grotte, tandis qu’une voix qui semblait sortir du sol disait :
“Dominique, tu as de la chance que Marie ait sonné !
Car sinon, ton plus gros morceau
Aurait été celui de l’oreille !”

Vous savez tous que Marie est le nom de la cloche du village dont Méninou Marie, ma mère , était la marraine.

En sueur, Dominique , arriva chez lui avec l’enfant qu’il appela “le Dragot”, et conta son aventure. Le Dragot était effrayé du monde qui passait au café Dominique, et se réfugiait sous le lit où il passait le plus clair de son temps.
Un soir, à la veillée, le forgeron parlait avec d’autres de la difficulté qu’il éprouvait à souder le fer, à la forge, alors qu’au cours de son service, il avait connu des charrons qui y parvenaient très bien.
Du dessous du lit, une voix parvint, que seul le forgeron entendit :
“SAOULOU Y AN MÉTUT”
(du sable, ils y ont mis)

Dès le lendemain, le forgeron, incrédule mais tourmenté, réussissait sa première soudure ! Et, comme il venait en informer Dominique, ce dernier lui apprit que, dans la nuit, le Dragot avait disparu. Nul ne l’a revu depuis !

Cric Crac, lé counté es acabat ! dit Pépi-Paul, du temps qu’Ambroise puisait une nouvelle prise dans sa boite à tabac en buis.

Celui à qui je dois ce souvenir, disait que, bien souvent, en gardant ses brebis, il était venu dans les parages de la grotte située au lieu dit “Les Bazerques”, du côté de la “Lappe” Un jour, il osa s’en approcher, et s’aventura à l’intérieur. Il eut alors, dans le silence pesant qui y régnait, une sensation étrange de malaise, comme si le lieu était habité par quelque chose d’impalpable, et que sa seule présence y était inconvenante. Il rebroussa chemin, et n’y revint jamais.

A ce jour,il est à peu près certain que personne n’a revu le “Dragot”, et que “ LE TRAOUC DÉ LAS DRAGOUS” a été l’ultime demeure de la dernière Dragou, la dernière fée qui y mourût de chagrin, il y a de cela bien, bien, longtemps.........